Le dessert, cet ennemi juré
Est-ce que le dessert est bon pour la santé ? Est-ce qu’on devrait encourager les desserts chez les enfants ? Devrait-on choisir des desserts « santé » ? Devrait-on bannir les desserts de la surface de la Terre ? Ces questions font encore partie du discours collectif lorsque vient le temps de réfléchir sur l’alimentation des enfants (et des grands !). Le dessert est devenu l’ennemi juré chez certaines personnes, la tentation absolue chez plusieurs, et le fruit défendu chez d’autres. Pourtant, l’alimentation intuitive nous enseigne plutôt d’accepter les aliments pour ce qu’ils sont, et de ne pas les catégoriser comme « bon » ou « mauvais ». À long terme, l’alimentation intuitive est une pratique qui pourra permettre de développer une relation saine avec la nourriture et d’accepter le dessert pour ce qu’il est réellement. Alors, pourquoi s’en passer ?
Qu’est-ce qu’une relation saine avec la nourriture ?
Manger quand on a faim, arrêter de manger quand on n’a plus faim, manger de tout, respecter nos goûts. Sur une journée, ça ressemble à trois repas par jour, avec deux à trois collations. Avoir une relation saine avec la nourriture, c’est être en paix avec l’acte de manger. Pouvoir respecter nos besoins corporels et leur faire confiance. Être en mesure de leur répondre adéquatement afin que notre corps puisse avoir ce dont il a besoin pour bien fonctionner, ce qui implique un bon équilibre et une variété d’aliments, une gestion adéquate de nos émotions et une saine image corporelle. Oui, tout ça dans l’alimentation intuitive !
Et la place du dessert dans tout ça ?
Le dessert, c’est une partie du repas. Il importe de le voir comme ni bon ni mauvais. Le gros bon sens nous dit qu’il est important que notre enfant mange « de bonnes choses », telles que recommandées par le guide alimentaire. Il devient alors très tentant d’utiliser le dessert comme motivation. En d’autres mots, comme punition ou récompense.
Par contre, afin de développer une relation saine avec la nourriture, aucun aliment n’est ni bon, ni mauvais. Un aliment est… un aliment. C’est un des principes de l’alimentation intuitive. Toutefois, certains aliments ont une plus grande place dans notre alimentation (pour répondre aux besoins nutritifs de notre corps), tandis que d’autres, comme le dessert, ont une petite place. Donner au dessert la place qui lui revient, c’est lui donner une portion, après le repas.
Il faut éviter de tomber dans le piège de lui accorder une attention spéciale comme « seulement le vendredi soir », « seulement aux anniversaires ou aux occasions spéciales ». Le dessert doit pouvoir se présenter après le dîner et le souper, pour une portion. L’enfant doit pouvoir choisir un dessert qu’il aime et, afin de toujours respecter les besoins de son corps, il doit avoir faim pour le manger. S’il n’a pas faim, il devrait pouvoir attendre et le manger plus tard.
Pourquoi ne pas encourager l’enfant à finir son assiette pour avoir son dessert ?
Certains diront, « je ne force pas mon enfant, mais je l’encourage à finir son assiette principale pour avoir droit au dessert », ou encore, « je le félicite et lui permet un dessert ensuite ». D’une façon comme de l’autre, le dessert devient la récompense à une « tâche ». Mais pourquoi cette façon de faire est-elle inadéquate ? En fait, elle envoie à l’enfant les messages suivants :
• Tes besoins ne sont pas importants (tant pis si tu n’as plus faim ou si tu n’aimes pas ça, tu dois terminer ton assiette quand même)
• Tu ne peux, ni ne dois écouter les besoins de ton corps (parce que le nourrir est plus important)
• Je sais mieux que toi quels sont tes besoins
• Le dessert est spécial et j’ai le pouvoir de te le donner ou non
À long terme, mais aussi à court terme, ces messages ont un effet néfaste sur le développement de l’enfant. Il peut perdre la capacité à écouter sa satiété et pourra développer une relation malsaine avec la nourriture. Les parents ont la responsabilité d’être des modèles pour leur enfant et doivent l’encourager à reconnaître, écouter et respecter les besoins de son corps.
Comment mettre en place une alimentation intuitive à la maison ?
Plusieurs inquiétudes peuvent faire surface lorsqu’on essaie de mettre en pratique l’alimentation intuitive. Les plus entendues reviennent à la peur que l’enfant ne veuille plus manger ce qu’on lui présente, la peur d’encourager des caprices chez l’enfant, la peur que l’enfant devienne obèse, la peur que l’enfant développe des problèmes de santé. Développer une alimentation intuitive est un apprentissage et demande du temps. Il faut se donner la chance d’apprendre, le temps de changer nos habitudes. Ce moment d’adaptation peut en décourager plusieurs, mais bien honnêtement, il en vaut la peine. Rappelez-vous que l’acte de manger en soi est important, et non seulement le dessert. Questionnez-vous :
• Est-ce que le repas est un moment plaisant ? A-t-on du plaisir en mangeant ?
• Est-ce que ce moment permet des échanges entre les membres de la famille ?
• Est-ce qu’il y a de la diversité dans l’assiette ?
• Est-ce qu’on prend le temps de manger en famille ?
• Est-ce que les repas sont variés et majoritairement appréciés de la famille ?
• Favorise-t-on la participation de tout le monde lors de la préparation des repas ? (mettre la table, cuisiner, choisir les mets, faire les achats, etc.)
• Est-ce que les aliments sont présentés de façons différentes pour favoriser leur apprivoisement (crus, cuits, avec sauce/trempette, coupés différemment, etc.)
• Encourage-t-on la découverte de nouveaux aliments ?
Lorsqu’on maîtrise l’alimentation intuitive, l’équilibre et la variété sont au rendez-vous. L’enfant respecte ses signaux de faim et de satiété et sait quand s’arrêter de manger. Pour sa part, l’obésité est expliquée par plusieurs facteurs et ne se limite pas à une alimentation déséquilibrée. Ce que les recherches nous démontrent, c’est qu’à long terme, l’alimentation intuitive permet d’atteindre et de maintenir son poids génétique.
Dois-je donc laisser mon enfant manger son dessert, même s’il n’a rien mangé de son repas ?
Bien évidemment, non. Une crainte répandue consiste à penser que si l’enfant ne se fie qu’à son intuition, il ne mangera dès lors que du dessert à partir du moment où celui-ci lui est permis. Bien que votre enfant tâtera certainement le terrain de ce côté-là, il est important de demeurer cohérent dans vos actions. Deux règles peuvent vous aider ici : 1) le dessert, c’est une portion, et 2) l’important, c’est de goûter à tout ce qui est dans l’assiette. Si cela implique de changer vos habitudes alimentaires, il se peut que l’enfant, dans un premier temps, voie en ce dessert « maintenant permis » une occasion de manger « plus de dessert ». Rassurez-vous, s’il peut y avoir une augmentation de l’envie dans un premier temps, la tentation fera place à un équilibre après quelque temps. Fort de constater que le dessert n’est désormais plus un outil de négociation, l’enfant ne craindra dès lors plus de manquer une occasion d’en manger et sera plus enclin à manger de tout. En respectant la règle 1 (une seule portion de dessert), l’enfant qui restera sur sa faim pourra ensuite revenir à son repas. Il n’en veut pas ? Possible. Il se peut que ce soit une tentative pour voir s’il pourra avoir une autre portion de dessert. Demeurez constants. Le livre Lou aime le dessert fournit de bons outils à cet effet, comme par exemple, comment questionner l’enfant sur ses signes de faim et de satiété.
Et l’interdiction du dessert, c’est si pire ?
En fait, oui. Le cerveau est très réactif avec les interdits. Tout ce qui est interdit l’attire encore plus. Interdire le dessert revient à ce qu’on nomme la restriction (se restreindre de dessert). La restriction, tôt ou tard, amène la surconsommation. C’est une réaction normale du cerveau. Comme une réaction de survie. Des enfants peuvent développer des comportements de manger en cachette, de ne pas écouter leur signal de satiété, de manger plus qu’à leur besoin, d’emmagasiner des aliments dans leur chambre pour les cacher et les manger plus tard. Rendus adultes, ces enfants ont généralement du mal à respecter leurs signaux de faim et de satiété et développent une relation amour/haine avec le dessert (ou tout autre aliment restreint). Un phénomène très intéressant se produit lorsqu’on cesse la restriction : après quelque temps, l’aliment autrefois interdit devient… moins attirant ! On a donc moins le goût d’en manger. Une fois le dessert vu comme « normal », l’enfant n’en voudra pas tout le temps.
Oscar Wilde disait : « le meilleur moyen de résister à la tentation, c’est d’y céder ». L’alimentation intuitive nous apprend plutôt que le dessert, non associé à une tentation, permet justement ne pas avoir à y céder, mais bien de pouvoir en manger de façon équilibrée, quand l’envie et le besoin corporel sont de la partie.
MARIE-MICHÈLE RICARD
Psychoéducatrice, psychothérapeute et auteure du livre Lou aime le dessert : promouvoir une relation saine avec la nourriture chez les enfants paru aux Éditions Midi trente.
Les Éditions Midi trente publient des livres pratiques et des outils d'intervention sympathiques pour surmonter les difficultés et stimuler le potentiel des enfants et des adolescents.
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